Mustang : Le royayme des démons
1991
Pour la première fois, le Népal vient enfin d’autoriser les étrangers à visiter le Mustang, vallée perdue aux confins de l’Himalaya, à la frontière du Népal et du Tibet.Mais le Mustang se mérite. Pour y parvenir, il faut d’abord rejoindre Kathmandou, puis aller à Pokhara en 6 heures de bus et prendre un petit avion pour Jomosom qui n’atterrit que par beau temps, puis de là marcher pendant 14 jours pour atteindre la capitale, Lo Mantang, et revenir à Jomosom.
Nous arrivons à Kathmandou en fin de journée et faisons une visite rapide à Durbar Square, ensemble de temples du XVII et XVIIIe siècles en forme de pagode, autour de l’ancien palais royal et le lendemain nous repartons pour Pokhara. Le lendemain nous faisons une promenade au dessus de Pokhara jusqu’à Sarankhot. Les femmes travaillent dans les rizières et leurs robes rouges ressortent magnifiquement sur le vert tendre du riz. Dans un ballet permanent, les aigrettes se posent et s’envolent en toute sérénité. Puis nous grimpons jusqu’au sommet de la colline. Après la fatigue du voyage, la montée est dure. Nous déjeunons au sommet dans un petit village où les habitants nous prépare un plat de nouilles au curry. Nous redescendons tranquillement l’après-midi sur Pokhara.
Le jour suivant, à 6 h du matin nous partons à l’aéroport. Devant l’aéroport, il y a un petit marché des choux, des carottes, des pommes … Les formalités sont très rapides et à 6 h 30, nous montons dans le petit twin otter, comme si c’était un autobus, qui nous emmène à Jomosom. Il fait beau et la vue sur l’Himalaya est splendide. Notre petit avion se faufile entre le Dhaulagiri et l’Annapurna et l’avion atterrit sur une petite plate-forme au pied du Nilgiri.Nous sommes à Jomosom, point de départ de notre trekking pour le Mustang. Nous passons au bureau de police pour les formalités. Nous devons nous faire enregistrer pour pouvoir entrer au Mustang. J’ai le numéro 76 sur le registre d’entrée au Mustang. Le policier vérifie également que nous avons assez de nourriture et de combustible pour la durée de notre séjour au Mustang.
Puis nous partons. Notre petite équipe de 7 s’est agrandie. Il y a Tank notre guide, puis l’officier de liaison chargé de nous surveiller, l’équipe de cuisine puis les porteurs. A l’étape suivante notre petite expédition est complétée par 7 chevaux pour transporter les bagages, les porteurs n’étant pas assez nombreux.
Nous longeons le cours de la Kali Gandaki et nous déjeunons dans un lodge près de Kagbeni. Notre cuisinier est arrivé avant nous et nous a préparé des frites et des momos, plat tibétain, qui sont une sorte de raviolis avec des légumes ou de la viande à l’intérieur.Nous arrivons vers 16 heures à Kagbeni.. Nous sommes désormais au Mustang.
L’histoire du Mustang est assez mystérieuse et assortie de nombreuses légendes où les démons sont toujours présents. Les seules informations que l’on peut trouver sont celles données _par M. Peissel qui est l’un des rares voyageurs à avoir été admis au Mustang en 1964. Un neveu du roi du Tibet s’en vint au royaume de LO et son petit-fils AME PAL a conquis en 1380 la région supérieure de la KALI GANDAKI, faite alors de châteaux indépendants et a édifié la ville de Lo Mantang et un certain nombre de monastères.Il fait venir du Tibet un lama du monastère de Sakya pour consacrer les monastères. C’est donc le bouddhisme tibétain qui sera pratiqué. Mais la population continuera à pratiquer la religion « Bon » antérieure au bouddhisme, faite essentiellement de rites de sorcellerie et encore présente aujourd’hui.En 1789, le roi du Népal pour consolider son royaume annexe les petits états de Jumla et de Lo Mantang. Mais bien que le Mustang devienne partie du Népal, le roi du Mustang garde son titre et le Mustang conserve le statut de principauté indépendante jusqu’en 1951.
En 1951, le Mustang perd son statut de principauté et est intégré dans le Népal. En 1960, après la fuite du Dalaï Lama en Inde, le Mustang servait de camp de base aux khampas pour faire la guerrilla contre les chinois. Ceux-ci recevaient le soutien de la CIA. Ce soutien cessa dans les années 1970, quand Nixon voulut améliorer les relations entre les U.S.A. et la Chine. La résistance tibétaine se dispersa au fil du temps, n’ayant plus de soutien étranger et le Dalaï Lama ayant demandé à ses compatriotes de ne pas utiliser la force contre les chinois. Pendant toutes ces années, le Mustang fut donc interdit aux étrangers. A kagbeni, l’architecture des maisons devient tibétaine et nous rencontrons les premiers chortens, sortes de reliquaires censés contenir les reliques d’un saint et qui sont inspirés du tombeau de Bouddha. Au Mustang ils sont souvent par trois et avec toujours un de couleur noire, blanche et ocre rouge. Ces couleurs proviennent des rochers avoisinants. Le monastère est fermé et il ne nous sera pas possible de le visiter. Le soir nous sommes invités à la soirée de l’école. Le spectacle est autant dans la salle que sur la scène. Les enfants, puis les adultes dansent et chantent. A l’entr’acte, un homme singe les danses des femmes et toute la salle rit de bon coeur.Puis c’est la première nuit sous la tente. A 6 h du matin, notre cuisinier nous réveille en nous apportant une tasse de thé. Encore à moitié endormie, je comprends qu’il me demande si je veux du sucre ou non. Puis il nous apporte une cuvette avec de l’eau chaude pour la toilette. L’organisation népalaise est parfaite. Avant d’arriver à Chaili, nous devons traverser la Kali Gandaki. Malheureusement, le pont n’enjambe qu’une partie de la rivière et il faut enlever ses chaussures et marcher sur des galets dans l’eau glacée.
A chaili, nous campons sur le toit d’une maison. Les maisons sont toutes construites selon le même principe.Le rez-de-chaussée est réservé aux animaux. Au premier étage, il y a la cuisine, le living room, les chambres et les toilettes, faites d’un trou. Au rez-de-chaussée on recouvre ensuite de cendres. L’endroit est donc maintenu relativement propre.
Puis on accède au toit par une échelle faite dans un tronc d’arbre. Sur le toit, on trouve la réserve de combustible : le bois et la bouse de yak pour l’hiver. Nous déjeunons à Samar près d’un moulin au bord du ruisseau. Dans le village, un magnifique troupeau de yak rentre au bercail, mais au moment de franchir la porte, les yaks s’échappent et galopent dans tous les sens. Le gardien court dans tous les sens pour essayer de les faire rentrer.
Le yak domestique est un animal très apprécié. Il sert au transport des marchandises. Le lait sert à la fabrication de beurre et de fromage. La laine sert à fabriquer des tentes. La viande est utilisée pour la nourriture. La bouse de de yak sert de combustible.
Après Samar nous devons franchir un col signalé par des drapeaux de prières et un tas de pierres gravées de Om mani Padme Hum. La montée est rude. Je me réjouis déjà de la descente, mais m’aperçois rapidement qu’il faudra vite tout remonter. Cet après-midi là nous devrons passer quatre cols. Il commence à pleuvoir et par bonheur nous nous arrêtons dans une maison qui fait office d’auberge. Les habitants nous servent du thé. L’intérieur est tellement sombre qu’il est impossible de décrire l’ameublement. Syangboche ne comprend que deux maisons. Nos tentes sont installées dans un enclos mais nous dînons dans la maison. Le soir nos sacs ne sont pas arrivés. Aux dernières nouvelles les chevaux se sont échappés et le muletier les cherche partout. Enfin à la tombée de la nuit tout est rentré dans l’ordre. A Gemi, un grand mur de prières de 250 mètres serpente dans un paysage aride. Il représente les instestins d’un démon tué par un grand saint Urgyen Rimpoche. Ce saint était venu au pays de Lo, alors rempli de démons et combattit l’un d’eux. Sorti vainqueur, il dépeca le démon et jeta à terre les entrailles du démon. Les habitants élevèrent ce mur pour commémorer l’évènement avec des milliers de pierres gravées de OM MANI PADME HUM, formule que récitent les bouddhistes. Elle est composée de syllabes dont les sons produisent des effets psychiques et doivent permettre d’échapper au cycle des renaissances et entrer dans le nirvana.
La traduction littérale de OM MANI PADME HUM qui veut dire « salut au joyau dans le lotus » n’a pas de signification. Par contre, chaque syllabe a le pouvoir d’empêcher l’être de suivre l’une des six voies lumineuses qui font partie de la roue de la vie.
Nous arrivons à Tramar, qui veut dire falaise rouge. Les rochers sont magnifiques d’un rouge flamboyant. Des grottes sont creusées dans le rocher. Certaines étaient des ermitages, mais compte tenu du nombre elles ont probablement dû servir aux habitants pour se protéger des envahisseurs. Personne n’est capable de dire de quelle époque elles datent, ni leur utilisation véritable. Lo Gekar a été construit au VIIIe siècle pour apaiser les démons pendant la construction du monastère de Samye au Tibet. C’est le plus vieux monastère de tout le Népal.
Enfin, nous apercevons Lo Mantang, capitale du Mustang. Cela ressemble plus à un village. La ville est un comme un mirage en plein désert. La ville est entourée d’un mur et la porte était fermée tous les soirs, jusqu’à il y a encore peu de temps. Devant la porte de la ville, les hommes se retrouvent pour filer la laine ensemble. Il y a environ 150 maisons, 4 monastères, le palais royal. Mais le roi n’y habite presque plus et préfère sa maison de Trenkar qui a l’électricité. Au balcon, un énorme dogue, avec un collier rouge, aboie furieusement. Nous visiterons deux monastères. Thugchen Gompa du XVe siècle et le Champa Lakhang de la même époque dont seul le 1er étage est encore accessible. A l’intérieur, il y a une immense statue de Bouddha.Nos tentes sont à nouveau installées sur le toit de la maison et nous prenons nos repas dans le salon. Il y a des banquettes contre les murs recouvertes de tapis tibétains. Sur un buffet, il y a un petit autel avec un bouddha. Au plafond sèchent de nombreux morceaux de viande de yak et sont probablement réservés aux jours de fête. Nous partons à cheval. La première épreuve est d’arriver à monter dessus. Sur la selle en bois, il y a plusieurs couches de tapis. Et à ma première tentative, les tapis basculent de l’autre côté. Nous visitons d’abord Namdrol, dernier village avant le Tibet. Nous arrivons ensuite à Garphu et après maintes parlementations visitons le monatère. Nous passons devant un village dont les maisons sont construites dans le rocher.En rentrant vers Lo Mantang, nous apercevons une procession des habitants dans les champs pour demander la protection des dieux pour les récoltes. Le monastère de Namgyal est peint de rayures grises blanches et ocre. Ces couleurs sont caractéristiques de la secte Sakyapa et l’on retrouve les mêmes au monastère de Sakya au Tibet. Un mandala vient d’être peint ou repeint au sol. Le mandala sert de support de méditation. La personne doit s’identifier à la divinité à laquelle il est associé ou se confondre avec elle pour éliminer de son esprit la manière dont il conçoit sa propre personnalité. A force de méditer et de s’imprégner de la divinité, le disciple doit atteindre l’illumination.
Nous arrivons à Trenkar au palais du roi. Celui-ci est au Tibet et la reine est malade. Il ne nous est donc pas possible d’y pénétrer. Nous traversons le petit village de Phuwa. Les habitants sont dans les champs. Seul, deux femmes travaillent sur un grand métier tisser. Puis nous rentrons à Lo Mantang. Le matin nous partons pour Tsarang. Nous déjeunons près d’une rivière avant d’aborder une longue montée pour atteindre Tsarang. Dans le village, les femmes battent le blé au fléau tout en chantant. Puis nous arrivons au monastère. C’est l’heure de la puja. A l’entrée du monastère on trouve les 4 gardiens comme dans presque tous les monastères tibétains et représentent les 4 points cardinaux. Le blanc, le gardien de l’Est, joue du luth. Le rouge, gardien de l’ouest a un petit stupa dans la main droite et un serpent dans la main gauche. Le gardien du Sud de couleur bleue porte une épée et un fourreau. Le gardien du Nord de couleur jaune porte une bannière de victoire dans la main droite et une mangouste vomissant des pierres précieuses. De l’autre côté une roue de la vie qui est toujours présente dans les monastères tibétains et résume les enseignements bouddhiques. La vie est à la fois une continuation des vies antérieures et la préparation des vies futures. Un bilan positif assurera une meilleure condition dans une vie future, à l’inverse un bilan négatif mènera à une condition inférieure. Pour échapper à ce cycle infini, il faut atteindre l’illumination, c’est-à-dire le nirvana en suivant les enseignements bouddhiques. Au centre, le porc, le serpent et le coq symbolisent les racines du mal l’ignorance, la haine et le désir.Autour du rond central apparaissent des créatures qui après s’être élevées retombent dans une agonie infernale.Ce cercle est divisé en six parties : le monde des titans, des dieux, des hommes, des pretas (êtres déchirés par la faim et la soif), des enfers, des animaux. Il montre comment les états psychologiques des êtres les entraînent dans un cycle de frustration dont ils sont incapables de sortir. Mais s’ils reconnaissent le mécanisme de ce processus, il seront en mesure d’atteindre la liberté. Puis les moines nous offrent du thé au beurre rance. Ils essuient les bols avec leur robe et avant que je n’ai eu le temps de refuser, je me retrouve avec un bol bien plein. La première gorgée me soulève le coeur, le beurre est particulièrement rance. Je profite d’un moment d’inattention du moine pour arroser un pot de fleurs avec le contenu de ma tasse. Le soir, nous arrivons à Geling. Il pleut et nous sommes logés dans une maison. Tank passe la soirée avec les habitants de la maison à boire du raksi, sorte d’alcool de riz. Je dors sur une des banquettes du salon croyant être mieux que sur le sol. Mais rapidement je sens des piqûres de puces et je peux facilement imaginer le parcours qu’elles font sur mon corps.
Dans la pièce d’à côté, on entend les habitants chanter et discuter. Le raksi continue de couler à flot. A Geling, nous assistons à la cérémonie de consécration du mandala dans le monastère. Puis les moines font une procession et continuent le rituel dans la cour. Le maître de chant entonne les récitations et conduit les musiciens qui ont chacun un instrument différent : la conque, les cymbales, les trompes. Le maître du rituel détient dans sa main gauche la cloche et dans sa main droite le sceptre de diamant. Ces deux instruments sont indissociables. La cloche est le symbole féminin de la sagesse et le sceptre le symbole masculin de la force. Ils représentent également la passivité et l’activité qui n’atteignent la perfection que dans leur union. Quand les musiciens ont reposé leur instrument, ils effectuent des mudras, qui sont des gestes lents avec chaque main qui représentent les offrandes qu’il offre mentalement à la divinité. Ces gestes produisent des réactions psychiques sur la personne.
Nous continuons notre route jusqu’à Samar. Nous déjeunons à Eklaiboti, qui veut dire « une maison ». Nous installons notre camp dans une maison à Samar. Le lendemain nous partons pour Tayen. Nous retraversons la Kali Gandaki avec certaines difficultés car le niveau de l’eau a monté. Nous déjeunons dans une maison à Tsug car notre cuisinier n’est pas au rendez-vous. Il a continué jusqu’à Tayen ayant mal compris. Le soir nous retrouvons notre camp de Tayen. Puis nous reprenons la route de Jomosom où nous retrouvons le vent qui s’engrouffre dans le canyon formé par la Kali Gandaki. Enfin une douche dans le lodge de Jomosom, assez rudimentaire, mais appréciée. Le lendemain matin, nous quittons le Mustang en reprenant le petit avion pour Pokhara. J’avais l’impression d’être partie dans un autre monde, un autre univers. Les images du Mustang resteront gravées à tout jamais dans ma mémoire.
.